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"IL SUFFIRAIT DE LE VOULOIR."

J’habitais il n’y a pas si longtemps que ça, dans un quartier piéton de Suresnes ; les voitures ne pouvaient y circuler qu’à 20km/h. L’accès à ma rue était bloqué par des plots rétractables. Seuls les riverains avaient la télécommande qui permettait de descendre ces plots. De l’autre côté de cette petite rue se trouvait un fast-food accessible uniquement aux piétons. Autant dire que je vivais dans le calme absolu … sauf le week-end, lorsque des champions de l’incivilité abandonnaient leur voiture, warnings allumés, juste devant les plots rétractables pour aller passer commande au fast-food … « juste deux minutes ». Ce faisant, non seulement ces grands couillons égoïstes empêchaient mes voisins de rentrer chez eux mais bloquaient également tout le quartier traversé par une seule petite rue à sens unique. Là, les automobilistes klaxonnaient, et ils s’en donnaient à cœur joie. Ce qu’il faut comprendre c’est que pour aller passer commande au fast-food, ça ne prend pas « juste deux minutes ». Et parce qu’un couillon ne vient jamais seul, son comportement autorise d’autres à faire la même chose. Bye bye sérénité. Hello symphonie en chaos majeur.

Ce qui m’a toujours fascinée et fait réfléchir est la réaction de mes voisins dont la quiétude était soudain troublée. Je les voyais ouvrir leurs fenêtres ou carrément descendre dans la rue pour insulter les automobilistes exaspérés, bloqués par le seul idiot irrespectueux de l’histoire. Je me souviens que certains avaient même appelé la police municipale. Ils reprochaient aux automobilistes de faire trop de bruit, de déranger tout le monde, de faire un tapage pour un désagrément qui ne concernait au final qu’eux. Mes voisins n’étaient effectivement pas concernés par cet embouteillage. Ils étaient tranquillement chez eux. Que d’autres ne puissent pas accéder à leur home sweet home n’était pas leur problème. Tout ce qui les intéressait, c’était leur petit confort, le silence assourdissant qui les préservait de la réalité en cours, là, dehors, juste sous leurs fenêtres. « Subissez en silence ! », auraient-ils crié que je n’en aurais pas été étonnée. N’est-ce pas cet imbécile mal garé qui immobilise tout un quartier ? N’est-ce pas lui qui empêche d’honnêtes gens de rentrer chez eux après une journée éprouvante ? N’est-ce pas lui qui est en tort ? N’est-ce pas lui qui cause tout ce tapage ? Ne devrions-nous pas nous en prendre à lui ? Après tout, il suffirait qu’il déplace sa voiture pour débloquer la situation. Nous avons pourtant et systématiquement tendance à traiter d’ « agitateur » celui qui perturbe notre confort protégé et illusoire en dénonçant la réalité chaotique, plutôt que de nous en prendre à celui qui installe ce chaos …tant que nous ne sommes pas victimes de ce chaos.


Où je veux en venir ?


L’emblème de la France n’aurait pas seulement dû être le petit coq arrogant se pavanant sur les terres arrosées du sang des miens, mais également une jolie autruche décapitée, sa tête profondément et soigneusement enterrée sous des couches sanglantes d’hypocrisie, de politiquement correct et de principes pseudo-humanistes entassés à coups de pelles coloniales et colonialistes.

Dénoncer le racisme, c’est klaxonner pour tenter de débloquer un embouteillage généralisé, pour ensuite s’entendre insulté et accusé de perturber la tranquillité de fumiers se lavant les mains d’une situation qui ne les affecte pas. Voilà, mesdames et messieurs nombrilistes, comment vous soutenez et participez au racisme et à l’injustice.


Il y a des combats, m’avez-vous déjà dit, qui ne vous concernent pas… et je vous réponds à mon tour que pour ces combats, la neutralité n’existe pas. Pire : elle est même la participation à l’oppression comme l’a souligné Elie Wiesel : « Always take sides. Neutrality helps the oppressor, never the victim. Silence encourages the tormentor, never the tormented.”


La neutralité n’existe pas : il n'y a que votre silence et votre indifférence.

La neutralité n’existe pas et vous avez choisi votre camp. Vous y en êtes les membres actifs ; des membres silencieux et lâches, mais tout aussi coupables.

Dans une série d’articles écrits entre 1936 et 1943, Simone Weil elle-même exprimait la honte qu’elle avait de son pays rempli de Français aussi lâches qu’indifférents à la cruauté infligée par ce pays qui pourtant  « se réclame d’un idéal de liberté et d’humanité ». Bien qu’elle refusait il me semble de croire que l’inhumanité, le colonialisme et le racisme étaient de tradition française, à quelques jours d’une nouvelle décennie et près de 80 ans plus tard, je ne peux m’empêcher de croire que ces traits sont bien ancrés dans l’esprit tricolore. Prouvez-moi le contraire ! Je ne demande que ça !


A travers Le Study Vlog, je supplie : « Ensemble, restaurons notre Humanité », car moi aussi, j’ai foi en l’être humain. Mais puis-je continuer à me convaincre que cet Ensemble existe alors que chacune de mes expériences avec le monde blanc (Baldwin) est impactée de racisme – que l’on assume ouvertement, que l’on nie, ou que l’on fait passer pour de l’humour ? Car oui, il y a pire que votre silence et votre indifférence.

Où est votre humanité lorsque vous nous imposez le silence ? Que faites-vous de notre liberté lorsque vous exigez de ceux qui dénoncent les meurtres, les injustices et les discriminations quotidiennes de cesser leur désordre ? Leur désordre ? Vraiment ? Où est votre humanité lorsque vous exigez de nous le silence ? Que faîtes-vous de l’humanité lorsque « l’opinion d’un pays, sans aucune distinction de classe sociale, est beaucoup plus sensible à ce qui menace sa sécurité qu’à ce qui offense sa justice ? » (Weil, 1943)

Pire que votre silence et votre indifférence, en exigeant de nous de ne pas perturber votre petit confort bien sécurisé par le White Priviliege, en nous forçant à taire nos expériences, à ne pas crier notre ras-le-bol, et à ne pas demander justice et humanité, vous avez consciemment choisi votre camp.

Pire que l’oppression assumée, vous vous prélassez dans cette « décomposition morale » (Weil, 1939) en optant pour l’hypocrisie : vous passez vos déjeuner entre amis à surjouer une peine feinte face à la déchéance de l’humanité, à clamer à quel point vous êtes choqués des injustices qui paralysent le monde, alors même que vous êtes les premiers à exiger de vos collègues qu’ils cessent de la ramener avec le racisme : « C’est vrai quoi ! Avec tous ces Noirs qui crient leur ras-le-bol du racisme quotidien et des injustices qu’ils subissent, on ne s’entend plus dire à quel point nous ne sommes pas racistes, assis autour de notre bouteille de vin, dans le confort de notre réalité illusoire et privilégiée. P*tains de $*%&  qui gâchent tout! …. Sans vouloir être raciste bien sûr. Après tout, j’ai des copains Noirs. » Evidemment…


Vous êtes pires car je préfère faire face à un ennemi qui se revendique comme tel plutôt que d’offrir mon dos à des serpents aux crocs acérés déguisés en amis bienveillants.

Et quand la neutralité n’est pas votre défense, vous vous cachez derrière l’ignorance, feignant de ne pas voir ce qui provoque les coups de klaxon. Voyez-vous, ni la neutralité ni l’ignorance ne sont gages d’innocence. Loin de là.


Déjà en 1849, Thoreau écrivait à propos de la participation des (soi-disant) abolitionnistes au système esclavagiste que « ce n’est une obligation pour personne, bien sûr, de se vouer à l’éradication de tel ou tel mal, si criant et injuste soit-il ; on peut très bien se consacrer à d’autres poursuites ; mais qu’au moins on ne s’en lave pas les mains : ne pas accorder à ce mal d’attention soutenue ne veut pas dire qu’il faille lui accorder un appui de fait. »

Nous nous persuadons bien trop souvent que, parce que nous ne tenons pas le couteau qui égorge, nous sommes innocents…


Soyez dorénavant convaincus que vous avez notre sang sur les mains à chaque fois que vous étouffez nos cris de douleur. Soyez convaincus que vous êtes les exécuteurs des hautes œuvres à chaque fois que vous étranglez nos demandes de justice et entravez nos élans de liberté. Soyez convaincus que vous témoignez de votre inhumanité à chaque fois que vous entravez notre lutte pour l’Humanité.


Sachez que le silence que vous tentez de nous imposer ne sera jamais une preuve de votre innocence. Il vous jugera encore plus coupable que vous ne l’êtes déjà.

Sachez que le silence que vous tentez de nous imposer ne légitimera jamais la bonne conscience que vous essayez désespérément de vous procurer. Votre conscience est salie par votre cruauté à son tour nourrie de votre orgueil et de votre malhonnêteté.


Oui, sachez que cela ne fait plus aucun doute. Vous avez consciemment choisi l’inhumanité ; car pour être humain, « il suffirait de le vouloir. » (Simone Weil, 1938).

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