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LA FORCE DE LA FAIBLESSE

Dernière mise à jour : 6 juin 2021

Avez-vous remarqué l’attention que nous portons à ce qu’on appelle « adversité » ?

Ce simple mot renvoie à de nombreuses situations.

Ce simple mot renferme des réalités différentes pour les uns et pour les autres. Mais ce qui est certain, c'est que ce mot est synonyme d'inconforts, d'épreuves, de batailles, de descente au fond du trou.

L’adversité.

Et avez-vous remarqué cette fâcheuse et dangereuse tendance que nous avons à romantiser cette adversité ?


Les réseaux sociaux pullulent de citations se voulant inspirantes et motivantes ; et elles le sont d’ailleurs très certainement pour beaucoup…après coup seulement.

On nous rabâche que l’adversité nous rend plus forts.

On ne cesse de nous répéter que sans adversité, nous ne pouvons pas découvrir notre force, car c’est l’adversité qui fait de nous de courageux combattants.

On nous convainc que sans adversité, la meilleure version de nous-mêmes ne peut être révélée.

Après tout, ce n’est que lorsque nous sommes à terre que nous avons l’opportunité de nous relever. Mais est-ce vraiment l'adversité qui nous rend plus forts?

Et bien que l’adversité puisse prendre plusieurs formes, il paraît aussi que nul ne se voie donner des épreuves qu’il ne peut surmonter. De quoi renforcer l’idée que c'est l’adversité fait l’Homme.

Et une fois ces épreuves surmontées, nous sommes applaudis pour cela, pour notre courage, pour notre force, pour notre combativité.

Nous en venons même à nous sentir reconnaissants.


Comprenez-moi bien.

° Etre reconnaissants pour avoir réussi à surmonter ces épreuves est une chose. J’ose même poser qu’être reconnaissants envers Dieu de nous avoir donnés la force de vaincre l’adversité est une expérience des plus belles.

° Seulement, notre tendance est de nous montrer reconnaissants envers les chiens de l’enfer à l’apparence humaine qui se sont acharnés à nous arracher des années de vie, à nous voler notre enfance, à piétiner notre adolescence, à attenter à notre vie, à s’assurer que nous n’ayons aucun avenir, …

Nous en arrivons même à remercier ces furies des limbes de nous avoir choisis pour cibles, de s’être données pour seule mission de faire de notre vie un enfer sur Terre.


Alors, notre ego gonflé, nous focalisons sur ces épreuves surmontées et nous les qualifions même de « réussites » : J’ai réussi à me relever après avoir été mis à terre.

Nous romantisons l’adversité : Ils ont cherché à me mettre plus bas que terre mais au final, grâce à eux, je m’en suis relevé grandi.

Nous sommes friands de ces histoires inspirantes…seulement une fois que les épreuves ont été surmontées.

Après tout, aucun film ne s’arrête sur un personnage en lutte. Il faut une suite de péripéties, des scènes au fond du trou qui permettent de révéler la détermination du protagoniste. Puis, une bannière « Trois ans plus tard » permet de montrer ce personnage heureux, au meilleur de sa forme après avoir surmonté ses épreuves alors enfouies dans le passé. En deux heures, c’est bouclé.

Comprenez-moi encore une fois bien : je ne critique ni ne déplore notre engouement pour ces happy endings héroïques. Bien au contraire !


Cependant, alors que nous focalisons sur le problème résolu, nous oublions bien souvent que cela relève d’un processus qui dure beaucoup plus longtemps que le temps d’un film.

Si nous applaudissons ceux qui ont réussi à sortir du trou, nous en oublions et allons même jusqu’à rejeter ceux qui sont encore dans ce trou, ceux qui se battent et débattent pour leur « Trois ans plus tard » depuis cinq ans, dix ans, vingt ans, et qui s’épuisent en même temps que le temps qui passe.


On prétend et on se convainc à tort que le temps guérit tous les maux. Non, ce n’est pas le temps qui guérit. Le temps n’est qu’une mesure, il n’est qu’un témoin. Le temps peut nous voir aussi bien nous relever que nous enfoncer désespérément. Et parce que nous idéalisons ces « après épreuves surmontées », nous rejetons ceux qui sont en plein processus, en pleine bataille.

Parce qu’ils n’ont pas encore surmonté leurs épreuves, parce qu’ils sont dans cet état de faiblesse, nous les enfermons sous cette étiquette et les traitons comme des bons à rien incapables de se relever.

Pourtant, n’est-ce pas là qu’ils démontrent leur force ? N’est-ce pas là qu’ils démontrent leur combativité ? N’est-ce pas là le point culminant de l’histoire ? N’est-ce pas là qu’ils ont besoin de soutien, de compassion? A défaut, n'est-ce pas du moins là qu'ils ont besoin qu'on ne les accable pas?

Nous applaudissons ceux qui ont déjà réussi à se relever, mais nous méprisons ceux qui sont en train de se débattre de toutes leurs forces pour garder la tête hors de l’eau.

Voilà à quel point nous sommes lâches !

Il est beaucoup plus facile de s’émerveiller de l’après-coup : parce que tout est résolu, nous ne sommes pas dans l’inconfort.

Nous nous disons nous aimer les uns les autres mais ne voulons pas être dérangés par les horreurs et les cris de douleur d'autrui.


Au contraire, nous l’accablons, et de ce fait, nous entravons le travail qui ne peut être fait que dans cet état de faiblesse.

Nous lui reprochons cette phase dans laquelle il se trouve. Nous lui reprochons de casser l’ambiance. Nous lui reprochons d’être fermé, de ne pas être drôle, de ne pas participer à la vie en communauté.

Pensez-y ! Nous sommes toujours, pour exemple, choqués et attristés lorsque nous apprenons le suicide de quelqu’un. Nous en sortons nos plus belles phrases aussi creuses que nos cœurs : « Quelle tristesse ! Il a perdu la bataille contre ses démons. Comme quoi derrière un sourire peut se cacher une tempête des plus violentes. »

Mais qu’avons-nous fait alors que nous avions connaissance de cette tempête ? Où étions-nous lorsqu’il se débattait ? Lorsqu’il avait besoin d’aide, de soutien, d’être entendu ?

Nous le faisions taire.

Nous lui reprochions de chercher à attirer l’attention. Nous lui reprochions de faire du cinéma. Nous lui reprochions d’avoir des phases. Nous lui reprochions d’être trop bizarre. Nous étions fatigués de ses attitudes dépressives et le sommions de s’en débarrasser sous peine d’être mis à l’écart.

Et lorsqu’il s’isolait finalement pour ne déranger personne alors qu’il réunissait ses dernières forces pour combattre ces démons qui s’acharnaient, nous lui reprochions cet isolement, ce manque d’attention au monde qui l’entoure, ce repli sur soi.

(In)Consciemment, nous lui enfoncions encore plus la tête sous l’eau.

(In)Consciemment, nous devenons à notre tour cette adversité.

(In)Consciemment, nous frappons l’être déjà à terre.


Lâcheté, ai-je écrit tantôt ?

Inhumanité.


Mais ces lignes sont d’abord pour ceux qui ne sont pas (encore) sortis plus forts.

On nous rabâche donc que nul ne reçoit des épreuves qu’il ne peut surmonter, et c’est à cette idée que nous sommes donc convaincus que nous sommes condamnés à rester faibles lorsque l’adversité nous maintient la tête sous l’eau.

Nous combattons et luttons depuis de nombreuses années, et nous ne faisons pourtant que nous enfoncer. Ce n’est pas faute de nous épuiser à nager vers la surface.

Mais que faire lorsqu’une main continue à nous maintenir la tête sous l’eau ? Que faire lorsque d’autres mains s’ajoutent à notre lente agonie ?

Car nous pensons souvent à tort que l’adversité est une épreuve délimitée dans le temps et l’espace.


Nous pensons que l’adversité n’a qu’un visage, qu’un responsable, et qu’une fois ce responsable évincé, il nous appartient de nous concentrer sur la résolution de notre problème. Cela devient notre responsabilité.

Pourtant, une bombe ne provoque-t-elle pas des ondes de choc ? Toute explosion laisse des dégâts visibles des décennies après. Des dégâts souvent irréparables.

Tout comme une bombe bien placée provoque des réactions en chaîne, l’adversité à un instant T a des conséquences en chaîne.

Le mal n’est pas irréfléchi. Il n’est pas cette personne aveuglée par la haine qui agit sous l’impulsion, sous le coup de la colère comme on essaye de nous faire croire.

Il est cette personne, ce génie du mal conscient de ses actes, qui, dans sa funeste mission, a pris soin de placer plusieurs bombes à retardement à des endroits stratégiques.

Ainsi, même lorsque le poseur de bombes est arrêté, des explosions sont à craindre.

Nous vivons dans cette crainte en même temps que nous balayons les débris de la dernière explosion-surprise, celle qui nous a arrachés un autre espoir de pouvoir revoir la lumière du jour, de pouvoir reprendre notre souffle.


Alors que faisons-nous lorsque des réactions en chaîne nous maintiennent la tête sous l’eau ? Que faisons-nous lorsque d’autres nous reprochent de nous noyer ? De ne pas réussir à sortir la tête de l’eau ? De rester dans le passé au lieu d’aller de l’avant ?

Malgré notre détermination et notre hargne, que faisons-nous lorsqu’il nous est impossible d’arracher cette petite bouffée d’air qui nous permettrait de soulager ne serait-ce qu’un instant notre agonie ?

Même expert en apnée, l’être humain a des limites ; et c’est en apnée que nous nous voyons nous enfoncer toujours plus dans les profondeurs abyssales.


Et parce que nous sommes soumis à la pression des autres nous culpabilisant pour cet état de faiblesse, nous avons un besoin urgent de prendre les choses en main pour sortir de cet état. Nous ne méprisons pas seulement cet état de faiblesse, nous en finissons par nous mépriser.


Parce que vous avez encore passé une journée à dormir alors même que vous souffrez d’insomnie, vous avez l’impression d’avoir abandonné le combat.

Parce que vous avez encore une fois vu une journée défiler sans avoir été ni occupés ni productifs, vous avez l’impression d’être un bon à rien.

Parce que vous avez encore envie de pleurer même après avoir épuisé toutes les larmes de votre corps, vous avez l’impression d’être incapables d’aller de l’avant.

Parce que l’on vous a encore reprochés votre état, votre situation, vous n’avez qu’une envie : laisser votre être plein de faiblesse sombrer.

Parce que vous ne voyez aucune porte de sortie, aucun espoir, vous ne voyez plus l’utilité de vous battre en vain, et vous êtes convaincus que votre cas est irrécupérable.

Parce que vous êtes submergés par les réactions en chaîne, vous avez l’impression que tout est fini. Vous voulez même que tout ça finisse.


Pourtant, cet état de faiblesse est notre force. Ne nous sabotons pas à cause de la pression des autres qui crient fièrement « J’ai réussi ! ». Chaque chose en son temps. Je sais que dans ces moments, il est difficile d’imaginer qu’une œuvre d’art peut naître d’une toile réduite en cendres ; et le regard méprisant de ces autres qui vous matraquent pour être en cendres n’aide en rien. Mais ce n’est pas à leur regard qu’il faut être soumis.

Vous ne pouvez pas encore crier : « J’ai réussi à me relever ! », mais sachez que vous pouvez d’ores et déjà affirmer avec fierté : « Je suis une œuvre d’art en cours de perfectionnement. », même lorsque vous avez l’impression du contraire.

Le fait que vous lisiez ces lignes le prouve.

Le fait que vous vous soyez levés ce matin, cet après-midi, ou peu importe l’heure à laquelle vous vous êtes levés, le prouve.

Beaucoup d’hypocrites applaudiront votre force et votre courage demain, alors qu’ils méprisent votre faiblesse aujourd’hui.

Beaucoup d’hypocrites s’émerveilleront de l’œuvre d’art que vous serez demain, alors qu’ils entravent aujourd’hui le processus de votre création.


Au diable les applaudissements de demain !

Le futur ne peut exister sans le présent. Et croyez-moi, c’est aujourd’hui que vous faîtes preuve de force et de courage…même si vous n’en avez pas l’impression.

Le temps ne guérit pas tous les maux, mais nous pouvons ensemble nous aider à avancer. Nous pouvons être ce petit regain d’énergie des uns et des autres qui nous permet de nous démener encore plus férocement pour arracher cette petite bouffée d’air. Nous pouvons être ces soutiens mutuels qui nous permettent de garder ou de retrouver confiance.

Nous ne sommes certainement pas les bouées de sauvetage les uns des autres, mais notre humanité est, j’en suis persuadée, le petit élan salvateur qui nous permettrait, si ce n’est de l’entrevoir, au moins d’avoir l’espoir d’une bouée de sauvetage.


Je sais qu’il n’est pas facile de s’ouvrir lorsqu’on nous a forcés au silence. Je sais qu’il n’est facile de parler lorsqu’on nous a accusés de faire du cinéma.

Mais, s’il-vous-plaît, si vous êtes à bout, épuisés, que vous êtes désespérés que tout ça finisse, voyez ce blog comme une épaule sur laquelle vous reposer.

Ensemble, faisons en sorte que tout ça finisse bien.

Ensemble, gardons confiance et faisons en sorte de continuer à avancer.


- Damsel of Letters

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