J'aurais tellement voulu débuter ce blog par de magnifiques écrits se voulant émerveillés, confiants et positifs. J'aurais voulu montrer à quel point je suis reconnaissante de vivre dans ce siècle; cela aurait été pour moi un moyen de reconnaître le parcours de mon père, car je suis le résultat du racisme qu'il a subi, des coups durs financiers auxquels il a dû faire face, de nuits blanches à réviser et préparer ses concours, ... mais tout cela signifie que je suis également le résultat de son courage, de son acharnement, de ses réussites, ... J'aurais voulu commencer par le remercier d'avoir vécu l'intolérable pour que mes frères et moi n'ayons pas à le vivre. J'aurais également voulu froncer les sourcils en me demandant de quoi cet homme du siècle dernier peut bien parler lorsqu'il me raconte ses expériences passées. J'aurais voulu ouvrir un livre de Fanon comme pour ouvrir une fenêtre vers le passé ...
Mais dans une certaine mesure, je ne peux que faire des parallèles avec le présent; je ne peux que hocher la tête en ayant en tête et dans le cœur mes propres expériences; je ne peux que reconnaître que même si papa a fait le boulot, il n'est pas de taille face à l'ignominie humaine.
Beaucoup a changé ... mais le changement n'est pas forcément évolution positive. Beaucoup a changé, mais si hier on parlait de racisme, aujourd'hui on parle de racisme ordinaire. Oui, le racisme est rendu normal, le racisme est quotidien, et gare aux fous qui osent prononcer ce mot et s'en dire les victimes. La censure d'hier a été remplacée par le politiquement correct. Beaucoup a changé, mais être Noirs semble encore être la raison de brimades et de moqueries sur les bancs de l'université et au travail. Et bizarrement, on me qualifie de "naïve" et "ingénue" lorsque je suis choquée d'être témoin ou victime de telles humiliations ~ à croire que tout Noir doit s'attendre à être moqué, rabaissé, bloqué, arrêté, brimé et abusé. Oui, être Noirs semble être la raison de tueries, que dis-je, de massacres dans les rues, d'une véritable Nigga Hunt. Hier, on parlait d'esclavage mental : les Noirs étaient sommés d'enfin briser toutes leurs chaînes. Aujourd'hui, je me retrouve à parler d'esclavage en faisant référence à des Noirs vendus comme du bétail en Libye.
On me racontait l'histoire de Rosa Parks, mais la Une du journal d'aujourd'hui s'interroge sur le fait que l'Algérie interdirait aux Noirs de prendre bus et taxis. Hier, on me montrait des photos en noir en blanc du KKK, et mes profs d'histoire nous passaient des films racontant la haine des Nazis. Aujourd'hui? ... Aujourd'hui, des rallies Néo-Nazis sont organisés sous une espèce de protection policière et des membres du KKK défilent torches à la main sur des campus.
Mais paradoxalement, c'est au contact de cette haine que je me construis.
Plus cette haine monte, plus l'espoir grandit. Plus cette haine est nourrie et nourrit les cœurs les plus infâmes, plus elle nourrit ma rage de vivre et mon espoir naïf. Aujourd'hui, les réseaux sociaux nous permettent de transcender les frontières étatiques et géographiques en même temps que le fléau qu'est le racisme s'en moque. Cela nous permet de nous trouver, de partager, d'apprendre les uns des autres, de nous unir, de trouver le courage de nous battre ensemble.
Et je me battrai. Je me battrai avec vous. Je me battrai pour vous. Je me battrai contre eux. Je me bats et continuerai à opposer une résistance farouche à ceux qui n'ont aucun respect pour l'Existence. Je me bats comme vous vous battez, sans jamais prôner la haine contre la haine, mais mon père a fait en sorte que sa fille sache se défendre ... Nous nous battons ensemble comme nos parents se sont battus avant nous pour défendre ce qui compte : la Vie.
Il faut croire que, finalement, mes premiers écrits auront été émerveillés, confiants et positifs ...